Par REGHAI Yasmina
C’est le genre de paradoxe qui mériterait un scénario à la Nolan : comment nos films font chavirer les jurys de Cannes, Venise ou Toronto… pour finir par jouer les fantômes dans nos propres salles ? Entre les palmes qui brillent et les fauteuils qui restent vides, le cinéma marocain a ce talent étrange : plaire partout… sauf ici.
Le syndrome du « trop raffiné pour nous »:
La formule est presque mathématique : un sujet lourd (migration, traditions étouffantes, pauvreté), des plans léchés signés par un directeur photo parisien, et une mélancolie distillée au millimètre. Résultat ? Standing ovation à l’étranger… et spectateurs marocains qui préfèrent le vrombissement d’un Fast & Furious 12 plutôt qu’un drame contemplatif en noir et blanc.
Les cinéastes marocains, eux, font leur part : des films exigeants, souvent magnifiques, justement primés. Mais face au choix — rire ou plonger dans deux heures de tragédie rurale — le spectateur qui sort d’une journée éreintante tranche vite.
Snobisme du public… ou snobisme des films ?
On accuse parfois le public marocain de bouder son cinéma par manque de « culture ». D’autres murmurent que certains films semblent faits pour séduire les festivals plus que les spectateurs de Derb Sultan. Et si la vérité se glissait entre les deux ?
Car il y a une vraie fracture. Quand un cinéaste braque sa caméra sur les oubliés de Casablanca, le public lambda aimerait qu’on lui raconte aussi une histoire qui parle à son cœur, pas uniquement à son sens critique. Et pourtant, quand un film marocain joue la carte de l’humour ou du grand spectacle, les salles s’animent. Hasard ?
Promotion : l’art manquant de se vendre
Autre talon d’Achille : la communication. Combien de films auréolés de prix débarquent au Maroc sans affiches visibles, sans bande-annonce accrocheuse, sans même un passage télé du réalisateur ? Résultat : un film existe… mais personne ne sait qu’il est là.
Pendant ce temps, les blockbusters inondent TikTok, déroulent des avant-premières dignes d’un show et enrôlent des influenceurs à gogo. De quoi faire pleurer n’importe quel réalisateur marocain… et remplir les salles pour un robot parlant avec un accent québécois.
Réconcilier l’intelligence et le plaisir : Peut-être faudrait-il accepter que le cinéma peut être exigeant et accessible. Ali Zaoua l’a prouvé : un sujet dur, une narration claire, un souffle d’espoir… et un public au rendez-vous. Ce n’est donc pas que le Marocain fuit le « cinéma d’auteur » : il fuit qu’on le sermonne pendant deux heures.
Alors, chers réalisateurs, continuez de collectionner les lauriers, mais souvenez-vous que vos films ont aussi besoin d’un ancrage ici.
Et chers spectateurs, si vous fuyez un film marocain parce qu’il est « trop sombre », souvenez-vous : la vie aussi l’est parfois… et pourtant, vous ne la zappez pas.
En attendant, le cinéma marocain continue de jouer au poète maudit : adulé ailleurs, ignoré chez lui. Sauf qu’ici, le poète reçoit quand même des subventions.
Parce que même primés à Cannes, nos films méritent d’être vus à Casa